Ma découverte de l’oeuvre de Robert Doisneau correspond à mon premier vrai contact avec la photographie. Alors en visite scolaire dans je ne sais plus quel musée, je suis frappé par ces images. Je me reconnais dans ces enfants en noir et blanc qui courent, jouent et s’ennuient en classe. Je me dis que le photographe a su saisir quelque chose de la joie de vivre et de l’innocence chez ces sujets. Mais dans le même temps, je me dis que la société que je découvre autour de moi n’est plus du tout la même que celle que je vois affichée sur ces murs. Je m’imagine que ces enfants ont, depuis, bien grandi, et qu’ils sont devenus parents à leur tour. Je me demande comment était la vie à cette époque. Je suis touché par la nostalgie d’un temps que je n’ai pas connu. C’est cette émotion qui m’a accompagné depuis, qui a fait de Robert Doisneau l’un de mes photographes préférés.
Des années plus tard, c’est en revoyant pour la énième fois une de ses séries dans le Paris des années 50, que je me suis dit qu’il serait intéressant de remettre en scène ces photos, de les rejouer, mettant ainsi face à face le monde d’hier et celui d’aujourd’hui. Ne me considérant alors pas comme un photographe et ne me destinant pas à ce métier, j’ai rangé cette idée dans un petit coin de ma tête sans jamais vraiment l’oublier.
C’est une quinzaine d’années plus tard, à force de repenser à cette idée, que je me suis dit qu’il était temps de la mettre à exécution ; personne d’autre, de plus compétent, n’ayant eu la politesse de le faire à ma place. J’ai donc commencé à arpenter Paris, à chercher les lieux où Robert Doisneau avait fait ses photos et à imaginer comment les remettre en scène. Je n’ai pas le talent de celui que j’imite, il m’importait donc que les photos que je prenne, bien qu’étant des copies, apportent quelque chose de personnel, mon regard sur la société contemporaine.
Mon constat est que, finalement, la société n’a pas tant changé que ça. Paris, ville-musée, à conservé la plupart de ces lieux intacts. Certes, les vêtements, les voitures sont différentes, les enfants ne jouent plus tout à fait aux mêmes jeux, certaines boutiques ont disparu ou été remplacées par d’autres. Mais, dans le fond, on défile encore sous le regard des gargouilles de Notre-Dame, on cuit encore du pain rue Ordener, on danse au Balajo, on écrit quai du Vert-Galant, on se prend en photo Place de la Concorde, on s’offre des fleurs dans les bistrots ou le métro et on s’embrasse toujours sous les fenêtres de l’Hôtel de Ville.